Géraldine Le Léannec, graine

Le Patriote N°2095 du 16 au 22 novembre 2007

 

Géraldine Le Léannec, graine
Géraldine Le Léannec, "Graine", sisal, bambous, no-made 2005, arboretum de Roure

 

 

 

 Au hit parade des artistes officiels, viennent dans l’ordre décroissant les artistes morts-jeune : ils incarnent la figure sacrificielle christique et ont un bon potentiel de mythe. Puis viennent les artistes morts-tout-court. Il est alors possible d’organiser une rétrospective, un hommage. Le prix des œuvres s’envole. Enfin, viennent les artistes morts-vivants, c’est-à-dire tous les autres.

Pourquoi l’art officiel adore- t-il à ce point les artistes morts ?

D’abord, les critiques d’art peuvent sans danger se gargariser de discours abscons pour remplir l’absence/ le vide  sans risque  de réplique.  Et que vaut l’art officiel sans le discours qui l’accompagne ? Ensuite, parce que, de manière plus insidieuse, la mort de l’artiste renvoie aux acteurs de l’art officiel ( critiques, commissaires d’exposition, directeurs institutionnels) le miroir de leur propre impuissance  d’une manière assez confortable. Dit plus simplement : l’artiste mort ne crée plus, l’acteur institutionnel ne crée pas. 1 partout, ou plutôt 0 partout. Enfin, par pure commodité. Un artiste mort est plus facile à gérer qu’un artiste vivant. Or, les institutionnels sont payés pareil. Donc pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

La morbidité s’acquiert par un long travail de conditionnement qui commence dès les pouponnières de l’art officiel, à savoir les écoles d’art. Il passe par l’encouragement tacite – ou la tolérance- à l’autodestruction, avec l’alcool ou la drogue par exemple. Saviez-vous qu’un jeune étudiant de la Villa Arson s’est suicidé  en 2004 en se jetant du monument aux morts de Nice, que ce suicide avait été précédé et suivi d’un bon nombre de dépressions nerveuses de jeunes étudiants ? Qu’on se rassure, ces statistiques ne sont pas l’apanage de la Villa Arson, elles concernent toutes les écoles d’art françaises. 

Dans le monde du travail, une entreprise à haut taux de suicide ou de dépression est soumise à des contrôles de la médecine du travail , et même si cette dernière  est souvent impuissante à changer les choses – suivez mon regard –  elle a au moins le mérite d’être là. Dans le milieu de l’art officiel, pas de médecine du travail, pas d’audit de psychologue, pas de contrôle, tout simplement parce que la morbidité et l’autodestruction  sont communément admises comme une caractéristique immuable de l’artiste ou de l’ artiste en devenir qu’est l’étudiant en art,  par projection débilo-romantique des institutionnels.   Selon Freud, « l’artiste et le névrosé sont tous deux des gens, qui sous la pression de certains instincts impérieux, se détournent de la réalité et passent une grande partie de leur vie dans le monde du fantasme. Mais l’artiste se distingue du névrosé en ce qu’il réussit à trouver un chemin «  pour revenir au réel ». Donc, sans tomber dans le manichéisme, l’artiste peut toutefois choisir de s’orienter vers une direction ou une autre : la création ou la névrose morbide.

Le calcul du Système, cependant,  est judicieux : un artiste qui s’autodétruit  se bat contre lui-même, et en attendant, ne se bat pas contre l’extérieur – le système de l’art ou les dysfonctionnements de la société.

 

Mais au-delà des destins individuels , la morbidité est une composante structurelle de l’art officiel : elle vient de son  pouvoir d’uniformisation des pensées et du consensus imposé comme modèle .

Pourtant, en 1920 déjà,  Marcel Duchamp , l’un des artistes majeurs du XXème siècle, dans l’une de ses facéties à prendre au premier et cinquième degré, a délivré un message puissant à l’art : il créait parfois sous le pseudonyme « Rrose Sélavy ». Ce nom lui permettait d’endosser deux identités différentes de la sienne, celui d’une femme et celui d’une juive. Et si cette création patronymique ne suffit pas, on peut aussi l’entendre comme « Eros c’est la vie ». Or, qu’est-ce qu’éros, si ce n’est l’altérité ?  L’autre, la diversité, la différence…

 no-made est un collectif d’artistes de la région, dont l’une des forces réside justementdans sa puissance vitale. Souvent déconcertant pour les  habitués des cimaises de l’art officiel, ce collectif, qui officie depuis 2001 et compte une quarantaine fluctuanted’artistes, se comporte comme une cellule organique : des membres viennent s’y agréger l’espace d’une saison, les artistes  participent sans exclusivité et en toute liberté aux événements culturels no-made qui les intéressent. Le collectif accueille toutes les générations, toutes les cultures,  toutes les sensibilités, toutes les esthétiques,  tous les niveaux d’artistes ( certains exposés dans des musées, d’autres trouvant dans no-made l’occasion d’expérimenter leur  démarche pour la première fois), toutes les technologies,toutes les disciplines,y compris la musique, la danse ou la poésie. « C’est très inégal ». Le  commentaire revient.Dans no-made, l’absence de jugement de valeur –  à ne pas confondre avec   l’absence d’opinion –  est souvent  interprétée à tort comme une certaine naïveté. Pourtant, c’est elle qui  crée  et préserve,parfois à l’aide de forceps,un environnement idéal pour l’expérimentation et la création. Tout cela cohabite joyeusementautour d’un thème annuel fédérateur, avec des positions individuelles parfois inconciliables, des échanges artistiques et humains riches, des discussions réelles ou virtuelles bien animées, des frictions de personne. Mais la vie ne vient-elle pas, justement,de la première friction érotique du pénis dans le vagin ?

 

Entre Eros et Thanatos, à votre avis, qui va gagner ?

 

 

Au hit-parade des artistes officiels viennent,
dans l’ordre décroissant, les artistes
morts-jeune : ils incarnent la figure
sacrificielle christique et ont un bon potentiel
de mythe. Puis viennent les artistes mortstout-
court. Il est alors possible d’organiser
une rétrospective, un hommage. Le prix des
oeuvres s’envole. Enfin, viennent les artistes
morts-vivants, c’est-à-dire tous les autres.
Pourquoi l’art officiel adore-t-il à ce point les
artistes morts ?
D’abord, les critiques d’art peuvent sans
danger se gargariser de discours abscons
pour remplir l’absence / le vide sans risque
de réplique. Et que vaut l’art officiel sans le
discours qui l’accompagne ? Ensuite, parce
que, de manière plus insidieuse, la mort de
l’artiste renvoie aux acteurs de l’art officiel
(critiques, commissaires d’exposition, directeurs
institutionnels) le miroir de leur propre
impuissance d’une manière assez confortable.
Dit plus simplement : l’artiste mort ne
crée plus, l’acteur institutionnel ne crée pas.
1 partout, ou plutôt 0 partout. Enfin, par pure
commodité. Un artiste mort est plus facile à
gérer qu’un artiste vivant. Or, les institutionnels
sont payés pareil. Donc, pourquoi faire
compliqué quand on peut faire simple ?
La morbidité s’acquiert par un long travail de
conditionnement qui commence dès les
pouponnières de l’art officiel, à savoir les
écoles d’art. Il passe par l’encouragement
tacite — ou la tolérance — à l’autodestruction,
avec l’alcool ou la drogue par exemple.
Saviez-vous qu’un jeune étudiant de la Villa
Arson s’est suicidé en 2004 en se jetant du
monument aux Morts de Nice, que ce suicide
avait été précédé et suivi d’un bon nombre
de dépressions nerveuses de jeunes étudiants
? Qu’on se rassure, ces statistiques
ne sont pas l’apanage de la Villa Arson, elles
concernent toutes les écoles d’art françaises.
Dans le monde du travail, une entreprise à
haut taux de suicide ou de dépression est
soumise à des contrôles de la Médecine du
travail, et même si cette dernière est souvent
impuissante à changer les choses — suivez
mon regard —, elle a au moins le mérite d’être
là. Dans le milieu de l’art officiel, pas de
Médecine du travail, pas d’audit de psychologue,
pas de contrôle, tout simplement
parce que la morbidité et l’autodestruction
sont communément admises comme une
caractéristique immuable de l’artiste ou de
l’artiste en devenir qu’est l’étudiant en art,
par projection débilo-romantique des institutionnels.
Selon Freud, « l’artiste et le névrosé
sont tous deux des gens qui, sous la
pression de certains instincts impérieux, se
détournent de la réalité et passent une grande
partie de leur vie dans le monde du fantasme.
Mais l’artiste se distingue du névrosé
en ce qu’il réussit à trouver un chemin « pour
revenir au réel ». Donc, sans tomber dans le
manichéisme, l’artiste peut toutefois choisir
de s’orienter vers une direction ou une
autre : la création ou la névrose morbide.
Le calcul du système, cependant, est judicieux
: un artiste qui s’autodétruit se bat
contre lui-même, et en attendant, ne se bat
pas contre l’extérieur — le système de l’art
ou les dysfonctionnements de la société.
Mais au-delà des destins individuels, la morbidité
est une composante structurelle de
l’art officiel : elle vient de son pouvoir d’uniformisation
des pensées et du consensus
imposé comme modèle.
Pourtant, en 1920 déjà, Marcel Duchamp,
l’un des artistes majeurs du XXe siècle, dans
l’une de ses facéties à prendre au premier et
cinquième degré, a délivré un message
puissant à l’art : il créait parfois sous le
pseudonyme « Rose Sélavy ». Ce nom lui
permettait d’endosser deux identités différentes
de la sienne, celui d’une femme et
celui d’une juive. Et si cette création patronymique
ne suffit pas, on peut aussi l’entendre
comme « Eros c’est la vie ». Or, qu’est-ce
qu’Eros, si ce n’est l’altérité ? L’autre, la diversité,
la différence…
No-made est un collectif d’artistes de la région
PACA, dont l’une des forces réside justement
dans sa puissance vitale. Souvent
déconcertant pour les habitués des cimaises
de l’art officiel, ce collectif, qui officie depuis
2001 et compte une quarantaine fluctuante
d’artistes, se comporte comme une
cellule organique : des membres viennent
s’y agréger l’espace d’une saison, les artistes
participent sans exclusivité et en toute liberté
aux événements culturels no-made qui
les intéressent. Le collectif accueille toutes
les générations, toutes les cultures, toutes
les sensibilités, toutes les esthétiques, tous
les niveaux d’artistes (certains exposés
dans des musées, d’autres trouvant dans
no-made l’occasion d’expérimenter leur démarche
pour la première fois), toutes les
technologies, toutes les disciplines, y compris
la musique, la danse ou la poésie.
« C’est très inégal. » Le commentaire revient.
Dans no-made, l’absence de jugement
de valeur — à ne pas confondre avec l’absence
d’opinion — est souvent interprétée à
tort comme une certaine naïveté. Pourtant,
c’est elle qui crée et préserve, parfois à l’aide
de forceps, un environnement idéal pour
l’expérimentation et la création.Tout cela cohabite
joyeusement autour d’un thème annuel
fédérateur, avec des positions individuelles
parfois inconciliables, des échanges
artistiques et humains riches, des discussions
réelles ou virtuelles bien animées, des
frictions de personnes. Mais la vie ne vientelle
pas, justement, de la première fiction
érotique du pénis dans le vagin ?
Entre Eros et Thanatos, à votre avis, qui va
gagner ?
Sophie TAAM