Chronique de la face cachée de l’art, Le Patriote mai 2008
Qu’est-ce qu’un artiste officiel ?
La tentation est grande de schématiser à l’extrême : nouvelles technologies et concepts pour l’artiste officiel ; peinture et sculpture pour l’ artiste de la face cachée.
Sauf que certains peintres sont des artistes officiels et certains conceptuels créent en marge du système institutionnel. Donc, les caractéristiques de son œuvre ne saurait définir l’artiste officiel.
Non, l’artiste officiel se définit par sa personnalité et sa vision de l’art.
Partons de la fin : un artiste officiel est un artiste soutenu par les réseaux des institutions culturelles françaises ( comme la DRAC, les FRAC, les centres d’art régionaux ou nationaux, les écoles d’art) suivies et relayées servilement par leur meute de galeries privées officielles, collectionneurs officiels, magazines culturels officiels ( Beaux-Arts Magazine et ArtPress principalement).
Pour être intégré, l’artiste doit tacitement plaider allégeance à la validité du Système actuel . Et d’abord ce premier point crucial : c’est l’artiste qui va vers l’institution et non l’institution qui va vers l’artiste. C’est donc l’artiste qui doit présenter son travail en dossier, décomposé dans des cases, accompagné d’une panoplie de références historiques homologuées par l’institutionnel. S’ils se rencontrent, c’est à l’artiste de parler le langage de son interlocuteur, et non l’inverse. ( cf ma chronique précédente)
Le postulat sous-jacent s’énonce ainsi : les institutions culturelles sont le noyau de l’art en France ; les artistes gravitent autour comme des vassaux, grappillant ici et là quelques miettes jetées de temps à autres par les grands seigneurs des institutions dans leur extrême magnanimité.
- Première caractéristique de l’artiste officiel : il accepte, plus ou moins consciemment, cette fonction de vassal auprès des Institutions. Qu’en est-il alors de sa fonction dans la société ?
L’artiste officiel ne voit pas aussi loin : biberonné dans le microcosme de l’art officiel depuis son adolescence ( école d’art, réseaux, galeries…), aveuglé par l’éclat trompeur de la puissance fantasmagorique, il tournoie autour des Institutions comme un papillon de nuit affolé, avant de s’y cramer les ailes au quatrième degré – Au suivant !-
La société n’est pas dans son champ de mire.
- Secundo, l’artiste officiel adopte la vision institutionnelle de l’art. L’art, chez les officiels, c’est du sérieux. D’où relations formatées excluant toute spontanéité, costumes et allures de croque-morts, mines ternes, absence généralisée de légèreté, mais…-et là on voit poindre la troisième grande caractéristique de l’artiste officiel – humour accepté dans l’ œuvre s’il est accommodé à la sauce institutionnelle : l’Institutionnel est un hypertrophié du cerveau et un atrophié de tout le reste ( sensibilité, émotion, relation humaine, corps). Lentement mais sûrement, l’artiste officiel va vers la facilité : il crée dans la direction la plus rapidement comprise par ses interlocuteurs , d’où cette impression d’uniformisation vers le conceptuel.
- Tercio, l’artiste officiel est soit dépressif soit schizophrène .
L’intégration officielle, en effet, est un long apprentissage, pendant et après les écoles d’art, qui ne laisse pas l’étudiant/artiste indemne. Lors de mon cursus éclair à l’école des Beaux-Arts de Nice, la Villa Arson, j’ai vu ce processus à l’œuvre dans sa rapidité hélas fulgurante. ( Au passage, la récente exposition temporaire de quatre femmes au centre d’art de la Villa Arson ne doit pas éclipser cette statistique permanente : 3% de femmes dans le corps d’enseignement de la Villa Arson. Mais que fait la police de la discrimination sexiste ?!)
Des jeunes sensibles sont conditionnés pour étouffer leur humanité et suivre les préceptes inculqués par leurs professeurs, directeurs, toutes figures d’autorité ayant une influence considérable à cet âge-là . Concrètement, cela se traduit par un durcissement des relations entre les étudiants, une mise en concurrence permanente, la loi de la jungle érigée comme modèle suprême, la destruction de l’empathie naturelle propre à tout être humain, la condescendance vis-à-vis de la solidarité. C’est le processus de déshumanisation concentrationnaire décrit par Bruno Bettelheim dans « Survivre ». Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce qu’un étudiant, en 2004, se soit suicidé du haut du monument aux morts de Nice, et que les étudiants les plus humainement sains partent régulièrement en dépression.
Les plus intelligents deviennent schizophrènes. En effet, comment créer une œuvre drôle quand on est interdit d’humour ? une œuvre géniale, novatrice, excentrique lorsqu’on est asservi au format des cases de dossier ? Comment mettre en œuvre des performances centrées sur le corps quand le corps est méprisé ? ( une fois de plus, les apparences ne doivent pas tromper : la sexualité omniprésente dans ce milieu-là n’est jamais l’expression d’une sensualité épanouie, mais toujours un outil des rapports cyniques de domination). Comment créer du sensible quand l’ environnement a annihilé toute sensibilité en l’individu ?
Les artistes officiels médiocres, eux – la grande majorité – perdent définitivement leur humour, leur sensibilité, atrophient leur corps et leurs émotions et servent donc une soupe homologuée, ascétique, intellectuelle et indifférenciée.
Les Institutionnels , à la duplicité proche de la schizophrénie, se sentent-ils ainsi moins seuls ? Eux qui se sont engagés dans l’institution culturelle française par amour de l’art – accordons-leur tout de même ça – et qui avalent inlassablement la même soupe incolore inodore sans saveur, mais sont ferrés et bâillonnés par le système. Observez ! La schizophrénie est un thème récurent dans le microcosme officiel.
Or, ne l’oublions jamais, la première caractéristique d’un véritable artiste, c’est la liberté : liberté de consacrer sa vie à une activité fondée sur l’esthétisme et non le productivisme, liberté de penser à rebrousse-poil du conformisme social, liberté de chercher, liberté d’errer, liberté d’expérimenter et… liberté d’expression !