La face cachée de l’art (en solo), webmailing novembre 2008
Dans la lignée de plus de deux décennies d’art officiel français, excluant les artistes de toute instance décisionnaire, le gouvernement a fait ses réformes dans le copieux mépris des artistes et associations d’artistes indépendantes.
Les institutionnels culturels, en revanche, ont eu droit à plus de respect et d’écoute gouvernementale. Cette dichotomie de traitement est, hélas, significative des rapports de force politiques entre les artistes, pourtant les vrais moteurs de toute « l’industrie culturelle » française et les institutionnels, qui tiennent véritablement les rênes du pouvoir.
Examinons avec curiosité et plus en détail le fondement de ce pouvoir politique.
Et prenons comme support d’étude un article révélateur paru dans Le Monde daté du 09 août 2007 qui s’intitule « Les centres d’art doivent ensemble devenir une force politique. » Entretien de Monsieur Eric Mangion, vice-président de l’association « Développement des centres d’art » et directeur du centre d’art de la Villa Arson à Nice.
Le pouvoir des institutionnels est en premier lieu un pouvoir médiatique : soutien inconditionnel à l’art officiel, mépris quasi-systématique de l’art de la face cachée ( d’abord médiatiquement caché) de la part des principaux journaux, magazines et chaînes de télévision. Et si, en 96-97, lors d’une première remise en question du système institutionnel de l’art, les principaux journaux avaient participé au débat – qui avait abouti en bataille réductrice gauche/droite – on est frappé par l’extrême conformisme et couardise des médias non spécialisés dans le débat sur l’art contemporain depuis 2007.
La pétition « L’art c’est la vie » est parue dans l’Humanité du 5 mai 2007 ; Le Patriote, avec une position à cet égard très originale dans le paysage médiatique français, soutient les artistes non-officiels régionaux et leur laisse un espace privilégié d’expression. Quant au reste des médias français… silence radio.
Or, un contre-pouvoir médiatique est né : internet. La résistance et la lutte souterraines contre le système institutionnel artistique s’appuient largement sur cet outil puissant. Les artistes peuvent débattre, s’unir, montrer leurs oeuvres, préparer des actions collectives, diffuser des textes censurés par les médias.
Reste que la couverture médiatique donne encore et toujours cette image faussée de l’art officiel comme art unique existant en France, image que les institutionnels renforcent délibérément à chaque apparition médiatique.
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Monsieur Mangion, en bon politicien, ( prenons-le comme cas d’école mais représentatif du Système), sait que la division est l’ennemie de la force politique. D’où renforcement de l’association « Développement des centres d’art » ; d’où, sur la région de la Côte d’Azur, création d’un réseau constitué d’associations, galeries, et centres d’art triés sur le volet, intitulé Botox(s). Tout parti politique rêverait d’une telle unité de façade ; c’est tout simplement parce que, dans le milieu de l’art contemporain, règnent l’intimidation intellectuelle et la peur. Et, dans le contexte actuel, avec tous ces va-nu pieds de l’art qui réclament leur part de gâteau, l’unité, forcément, est exacerbée. On l’a reconnue, cette stratégie ! C’est celle de Bush après les attentats du 11 septembre : tous unis contre les méchants ! Et surtout fermez-la !
Oui, sauf que l’art s’épanouit décidément bien mal au sein de ce noyautage qui n’avoue pas son nom. A Nice, le noyautage, historiquement, a toujours été caricatural, jusqu’à la destruction pure et simple aux bulldozers du centre artistique autonome des Diables Bleus en 2004.
Monsieur Mangion, en bon politicien, maîtrise la langue de bois à la perfection. Pour témoin le dernier paragraphe de son entretien : « il faut défendre la diversité : l’art ne doit pas se réduire à quelques noms, mais demeurer une activité extrêmement diversifiée ». Certes, sachant que les centres d’art, en fidèles représentants de l’art officiel , n’exposent que 2% – 10%( ?), bref une infime minorité d’artistes… Et, encore mieux, « moi qui dirige une grosse structure, je n’ai pas envie de récupérer l’argent au profit des plus petites. » Peut-on suggérer qu’il aille un peu plus loin dans son raisonnement et qu’il « partage » effectivement l’argent avec les associations d’artistes indépendantes, nombreuses sur la région, comme no-made, Sept Off, Le Hublot etc. qui font de grandes choses avec… rien ?
Monsieur Mangion, en bon politicien, manie avec dextérité le bâton et la carotte. Le bâton, c’est la menace d’exclusion de ce système bien noyauté. La carotte, l’illusion d’y être un jour intégré. Mais là aussi, si le système s’effrite inéluctablement, c’est parce que cette stratégie ne marche plus : depuis vingt ans que 90% des artistes sont exclus, ils ont fini par accepter leur exclusion et la transformer en force. Depuis vingt ans que le système sous-entend des promesses de reconnaissance… à terme, les artistes ont bien fini par reconnaître ce type de promesse : la promesse électorale la plus mensongère, celle qui ne se réalisera jamais.
Monsieur Mangion s’est concocté un poste en or. Aucun compte à rendre aux politiques, les vrais, qui, pour la plupart, ne comprennent rien à l’art contemporain ( hermétisme et élitisme sciemment entretenus par les institutionnels) et, donc, lui foutent la paix, du moment qu’il ne demande pas plus d’argent ; ce qu’en politicien habile, il ne fait pas : « si l’Etat doit se désengager sur certains points, pourquoi pas ? mais à condition que les collectivités territoriales prennent le relais.»
Il ne doit pas non plus rendre de compte aux artistes, officiels ou non-officiels, également sans pouvoir face aux institutions. Ni aux citoyens, qui n’ont pas leur mot à dire sur la politique culturelle de la région.
Alors, le voici, le hiatus : Monsieur Mangion est un bon politicien sans électeur. Comment ça s’appelle, déjà, une politique sans électeur ?