Une très belle critique et entretien ont été réalisés par Laurence Biava pour La Cause Littéraire.
Critique par Laurence Biava
Sophie Taam présente, entre biographie romancée et essai, l’histoire émouvante d’une femme ou bien adulée, ou bien haïe – c’est selon – qui a dû se battre bec et ongles toute sa vie pour sa reconnaissance. Belle inspiration, en effet, pour toutes les femmes, qu’elles soient (un peu ou beaucoup) artistes et/ou écrivains, que la trajectoire de cette femme émancipée. Sophie Taam met autant l’accent sur la sexualité débridée que sur l’œuvre novatrice de Nin, reconnue tardivement, et surtout sur ses journaux témoins de l’époque du Paris d’avant-guerre, où elle revient vivre avec son mari dans les années 1930 : sont présentés également les bribes des œuvres écrites à New York dans les années 50. On perçoit bien, au travers de son enfance et sa jeunesse, une prédisposition précoce à une grande ouverture d’esprit, un besoin d’écrire récurrent : toutes ces pistes intéressantes permettent de déchiffrer le mystère de cette artiste à l’aura sulfureuse. D’autant que sa vie adulte n’en est pas avare non plus, de mystère.
Entretien par Laurence Biava
En complément de la chronique
1) Dans quelle mesure peut-on dire qu’Anaïs Nin fut un porte-voix du féminisme ?
Dans un questionnement qui anticipe d’une ou deux générations le mouvement féministe, elle se demande : « Peut-on, à partir de l’analyse de soi-même, atteindre à une compréhension universelle de l’humanité ? Peut-on aller du particulier au général ? Pouvez-vous préciser cette phrase, l’approfondir ?
Anaïs Nin avait un train d’avance par rapport au mouvement féministe. Sans doute parce que sa vie fut celle d’une créatrice très libérée des années 30. Le mouvement féministe a réellement explosé dans les années 70… Symboliquement, ces femmes, à l’image d’Anaïs, sont méritantes : elles n’étaient entourées que d’hommes qui avaient du pouvoir. Anaïs Nin n’était pas militante de la cause féministe. Elle a rencontré Rebecca West par exemple mais, en effet, au départ, son parcours fut un peu solitaire. Il était le miroir du parcours de nombreuses femmes qui ont essayé de se libérer seules du carcan du milieu masculin. Dans son Journal, elle exprimait ses questionnements. Plus tard, dans les années 70, les femmes ont pu prendre la parole : elles ont dit leurs entraves. Et ce qu’elles pensaient être un problème strictement individuel concernait en vérité toute une collectivité de femmes qui se taisaient jusqu’alors. Nin, parce qu’elle avait tout noté, devint une sorte de porte-voix révélé à des femmes qui se sont reconnues dans sa démarche et sa lutte. Parce qu’elle avait les mêmes mots, et anticipé les difficultés des femmes à exister dans un monde masculin, car Anaïs Nin n’a jamais vécu sans un homme justement, elle les a aidées à prendre conscience de la structure de la société masculine.