Publication dans L’Inventoire, la revue en ligne, du 11 juin 2018
Habiter le temps, lien vers la parution sur leur site
Du 1er au 30 novembre 2012, j’ai vécu dans une bulle. Dans un mas carré sur deux niveaux, au cœur de la Camargue, qui abritait une maison d’édition en bas et deux studios de résidence en haut. Une grande table pour écrire et manger, un coin cuisine, un lit confortable, une immense baie vitrée donnant sur les champs et les chevaux à perte de vue. Pas de télé, un internet fantasque. Le silence, troublé sporadiquement par l’impétueux mistral, qui faisait grincer et ricaner la girouette en forme de diable trônant sur le toit.
Se lever le matin avec le soleil. Dormir la nuit du sommeil du juste. Progressivement, je biffais des items de mes listes de course, comme si le dénuement de la garrigue camarguaise m’apprenait à tendre à l’essentiel. Ma solitude était habitée. Par la présence câline du petit chat roux qui se lovait sur mon lit. Par celle de mes voisins successifs ─ miracle des amis de résidence avec lesquels on partage confidences et vin rouge, et qu’on ne reverra plus jamais. Habitée, enfin, par l’écriture qui coulait fluide comme les jours.
Rétrospectivement, c’était la plénitude, le bonheur, ou ce qui s’en est le plus rapproché dans ma vie.
Le 30 novembre, je versai une larmette complaisante sur la mort de mon héroïne.
Le 6 décembre, je passai abruptement de l’ombre créatrice aux Lumières en Fête à Lyon. Ma bulle avait éclaté, et moi, j’éclatai en sanglots hystériques, hagarde, ballotée parmi la foule, les obligations retrouvées et la promiscuité.