Chronique de la face cachée de l’art, Paru dans Le Patriote N°2090 du 12-18 octobre 2007
Les apparences ne doivent pas tromper : si la femme jeune semble avoir sa place dans le milieu de l’art contemporain officiel, c’est tout simplement que ce milieu est une caricature de la société de consommation. L’ artiste n’a plus la fonction d’individu, mais celle d’ objet marketing dépourvu – évidemment – d’idéologie, dont la seule lutte consiste à garder sa place le plus longtemps possible dans le rayon du grand supermarché de l’art avant d’être délogé par un produit plus nouveau et plus attrayant, d’où le jeunisme obsessionnel de l’art officiel.
Or, dans la société mercantile, la femme est le produit phare au rayon sexuel, qui est lui-même le rayon central du grand supermarché. Par conséquent, si elle trouve sa place dans le milieu de l’art officiel, c’est comme toujours celle d’objet de consommation sexuelle.
Dans la face cachée de l’art – c’est-à-dire tout l’art en-dehors du microcosme officiel – en revanche, les relations entre individus reproduisent à l’identique le schéma patriarcal fondateur de notre société. D’où cette tendance tout-à-fait naturelle et jamais remise en question à respecter la double hiérarchie de la masculinité et de l’ancienneté et privilégier systématiquement l’expérience au détriment du potentiel. Or, si ce choix est déjà contestable dans la société, il l’est encore davantage dans le domaine des arts, où l’expérimentation, l’innovation, la créativité devraient constituer des orientations essentielles .
S’il y a quelque chose à piquer des cultures anglo-saxonnes, c’est bien cela : cette foi en sa jeunesse, et le comportement qui en découle à son égard. Les artistes reconnus plus âgés considèrent de leur devoir de soutenir leurs cadets de manière assez désintéressée et leur donner les moyens de s’exprimer, créer, développer leur potentiel aussi harmonieusement que possible, comme un atout pour la communauté dont ils font eux-mêmes partie. John Baldessari, artiste qui, parallèlement à une carrière internationale, a exercé comme professeur à CalArts, l’école pluridisciplinaire des Beaux-Arts de Los Angeles, dès sa fondation, en 1970, a laissé une impression mémorable à tous ses étudiants comme mentor, et exercé une influence très enrichissante sur l’école elle-même et toute la communauté artistique de la côte ouest américaine.
En France, dans un environnement difficile et sclérosé[1], les artistes ayant obtenu un certain pouvoir reproduisent inconsciemment les mécanismes dont ils ont été eux-mêmes victimes dans leur jeunesse ( l’asservissement masculin en moins), et, avec cette belle assurance conférée par la « doxa » de Bourdieu, c’est-à-dire la légitimité – usurpée – du système patriarcal, trouvent tout naturel que les jeunes artistes parcourent le même chemin de croix tissé de sueur, perte d’illusion, déception, humiliation, compromis.
La sueur contre la fraicheur ? L’art a besoin des deux. Mais pour que la fraicheur puisse éclore, il faudrait une prise de conscience, une rupture, et le deuil de la revanche des anciens, ou peut-être qu’ils s’offrent une deuxième jeunesse et dépoussièrent, enterrés bien profondément en eux, leur idéalisme d’adolescent où l’art, comme le pouvoir, n’était qu’un moyen utopique de changer le monde et, par conséquent, les transcendait.
Ebranler l’édifice phallo-gérontocratique suffisamment pour implémenter un autre paradigme pourrait se révéler, même à titre expérimental, de la graine de révolution… C’est sans doute pourquoi, jusqu’à présent, cette expérimentation-là n’a jamais été tentée, même par les mouvements les plus avant-gardistes de l’histoire de l’art.
[1] Bibliographie : « Une jeunesse difficile, portrait économique et social de la jeunesse française », janvier 2007, Daniel Cohen , collection du CNRS.