Le Patriote avril 2008
Il semble donc que les deux espèces – institutionnels culturels et artistes ( sauf moi qui suis grillée) – soient amenées à cohabiter, voire à collaborer pendant quelques temps encore. Pour tenter de résoudre les problèmes brûlants d’incompréhension qui les séparent, voici une petite explication des mœurs et coutumes des habitants de Saturne à l’usage des habitants de Jupiter.
- L’artiste, lorsqu’il s’adresse à un institutionnel, parle de son expérience personnelle. Immanquablement, l’institutionnel méprise son opinion, car elle n’est ni théorique ni générale : elle lui semble surtout narcissique. Or, ce qui caractérise un artiste, c’est justement de se créer progressivement, à partir de son vécu, une pensée originale, une vision personnelle du monde et non d’adopter les pensées des autres.
- L’institutionnel qui assomme l’artiste dans son bureau à grands coups de théoriciens homologués comme Debord, Derrida, etc…. avec tout l’élan conféré par le recul de l’Histoire de l’Art, ne saura jamais que l’univers personnel de l’artiste (k.o.) en face de lui inclut parfois des théories, ou que sa vision est suffisamment structurée pour s’assimiler à un système ou une théorie – qu’il aurait pu découvrir si seulement il ne l’avait pas déjà assommé.
- Par la magie de la loi sociologique, la somme des individualités est égale au collectif. C’est-à-dire que les expériences pourtant très personnelles des artistes sont représentatives d’un ensemble d’artistes : la pétition « L’art c’est la vie » signée par plus de cinq cent artistes vivant en France en est la preuve incontestée.
- L’artiste possède une sensibilité aigüe, que ne possède pas l’institutionnel. Dans les rapports humains, elle se traduit par des émotions, comme la colère, la souffrance, la tristesse, le rire, ou la légèreté. L’institutionnel guidé uniquement par son cerveau hypertrophié confond sensibilité avec sensiblerie et/ou futilité, et méprise ces réactions. Or, c’est le même type de mépris que la société dans son ensemble applique à l’art, mépris ou indifférence que les institutionnels culturels déplorent alors à corps et à cris !!!
- L’artiste vient de Saturne, l’institutionnel vient de Jupiter ; ce qui implique que tous deux n’ont pas la même vue de leur balcon. Le problème, c’est que l’habitant de Jupiter est persuadé que Jupiter est l’Univers, et que les artistes qu’il reçoit dans son bureau constituent la totalité des artistes. Or ces derniers sont l’objet d’une longue et impitoyable sélection en entonnoir qui exclut une grande majorité d’artistes : il y a d’abord ceux qui ne s’adressent pas – plus – aux institutions, pour toutes sortes de raisons. Puis, ceux dont le dossier ne sera pas retenu ( dans l’éventualité première où il est examiné). La vue du balcon Jupiterien est donc considérablement tronquée !
- L’institutionnel, souvent à la base historien, est tourné vers le passé quand l’artiste regarde vers l’avenir. La création est toujours expérimentale et fragile. Créer c’est aller sans repère vers l’inconnu. L’inconnu, voici hélas une notion absolument inconnue pour l’institutionnel emprisonné dans une structure réelle et mentale hyper-rigide. Seule solution : faire confiance à l’artiste et s’abstenir de juger.
- Toute son enfance, l’artiste a eu du mal à assimiler les pensées toutes faites que la société lui imposait : il préférait créer les siennes. Aussi traine-t-il souvent avec lui une image de décalé, retardé, voire d’ idiot et parfois un complexe d’infériorité intellectuelle, qui s’est vraisemblablement aggravé lors de son passage aux Beaux-Arts. Habitants de Jupiter : l’habitant de Saturne n’est pas stupide, il est juste différent !
Espérons que, grâce à ce petit guide, la prochaine fois qu’un institutionnel recevra un artiste dans son bureau ( pas, évidemment, un artiste officiel qui, lui, parle couramment la langue de Jupiter, en sus de la langue de bois), ils arriveront, qui sait, à …. communiquer ?